• # L'espoir est une fuite

    """ Tout espoir, tout but, direction ou projet empêche cette confiance dans la vie. Né avec le pressentiment indéracinable qu’il n’est rien, l’être humain sait intuitivement que ses projections sont des histoires. Tout espoir est miné par ce pressentiment ; il ne sert qu’à faire croire à une localisation. Tant que j’ai un espoir envers quoi que ce soit, j’éprouve une non‐confiance en la vie.
    Je constate que tous les espoirs sont des fantaisies. Dès que j’obtiens une chose, j’en désire une autre. Je ne peux espérer que ma propre pathologie. Ma pensée est limitée au contenu de ma mémoire, elle m’a amené à la crise que je vis. Alors comment puis‐je avoir encore un espoir ?
    Chacun aspire à une vie différente. Les gens qui vivent seuls désirent rencontrer quelqu’un, ceux qui vivent en couple souhaitent être célibataires. Chacun est convaincu que tout ira beaucoup mieux quand cela arrivera. Cet espoir empêche d’écouter la vie.
    Quand je me rends compte qu’il n’y a plus rien devant, les énergies constamment utilisées à anticiper et à affronter un futur hypothétique se rassemblent pour faire face à l’instant. Présent, disponible, cette présence élimine tout futur.
    Le futur est une pensée, il n’existe pas. On ne peut pas faire face à une situation demain ; on meurt toujours avant de faire face à demain. Je m’aperçois que le futur est une idée – une idée dérangeante, une inquiétude, toujours.
    Être disponible... On ne peut même pas dire présent : il n’y a pas de présent, seulement présence. Dans cette présence, éventuellement, ce que l’on appelle le passé ou le futur peut s’inscrire comme pressentiment; mais ce n’est plus un futur. C’est comme lorsque l’on vous demande ce que vous faites dans six mois: vous pouvez ouvrir un agenda, s’il y a une place vous mettez une croix... Ce n’est pas le futur: la demande est maintenant, vous regardez maintenant dans le carnet; cette proposition crée une résonance en vous, vous faites une croix, le carnet se ferme, c’est fini, pas de futur psychologique. Le futur est un point dans un carnet, il est présent. On peut faire une croix pour dans 350 ans, on le fait toujours dans l’instant.
    De même quand un écho du passé me vient : c’est maintenant. Ce qui m’est arrivé il y a dix ans, je le sens maintenant dans mon ventre, dans ma gorge... Ce n’est pas le passé.
    Passé et futur sont présents. Plus on développe cette sensibilité, plus on se rend compte de cet espace présent.
    La confiance en soi‐même est impossible, celle dans le futur est impensable. Ce sont des confiances mal placées : on ne peut pas se fier à quelque chose qui n’existe pas.
    Le senti est sans confiance. Il n’y a personne pour avoir confiance, seulement senti. Quand je sens mon bras bouger dans l’espace: où sont le présent, le futur, la confiance? Quand j’écoute un concert de musique, une tarte aux pommes ou une douleur dans un organe : où est la confiance ? Je ressens, il y a présence. Je n’ai pas besoin de confiance. La confiance est l’espace dans lequel ces situations, ces sensations apparaissent.
    Avoir confiance en quelque chose est un manque de maturité. Tant que l’on a confiance en quoi que ce soit, on n’a pas vraiment confiance. Tôt ou tard on sera déçu, car on projette sa tranquillité dans ce en quoi on a confiance. On s’imagine que la situation peut nous apporter cette plénitude. Or, ni moi ni ce que l’on appelle les autres ne sont en état de me la donner. Donc toute confiance est mal placée.
    Quand je n’ai plus confiance ni en moi ni en l’environnement, il reste une confiance qui n’est plus dirigée vers quelque chose mais qui est simplement un non‐commentaire. J’arrête de critiquer ma vie, de penser qu’elle devrait ou pourrait être autrement. Je cesse de savoir quoi que ce soit. Reste la disponibilité. En l’absence de réaction psychologique, la simplicité de la vie m’apparaît. Tout ce qui m’arrive est présence. La confiance naît quand j’abandonne tout espoir. Une confiance sans objet.
    L’espoir est une forme d’ajournement : « Demain, je serai heureux. » Ce n’est pas admissible : on sera mort avant cela ; plus le temps d’être heureux demain. «Quand je ferai plus de yoga, quand je serai plus sage, moins coléreux, plus riche, marié, divorcé, quand je mangerai moins de sucre, que je serai en meilleure forme, que j’habiterai ail‐ leurs... seulement alors je serai heureux. » Voilà l’espoir !
    Pourquoi attendre ? Qu’y aura‐t‐il de plus demain ? Rien. Je projetterai la même misère qu’aujourd’hui. Si j’arrête aujourd’hui, cela s’arrête aussi pour demain. Si je continue aujourd’hui, cela continuera demain. Je dois arrêter, maintenant, dans l’instant. J’écoute, je ressens : dans ce ressenti, le mécanisme de fuite vers l’avant, vers demain, est vu pour ce qu’il est. Donc, toujours revenir à la sensibilité du moment. Écouter l’instant sans le lier à celui d’avant ou d’après, sans le comparer, sans rien savoir, sans anticiper ni se rappeler.
    L’espoir est une fuite. "

    Eric Baret

    De l'Abandon, Editions Almora

    www.bhairava.ws """


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